En ce 31 octobre gris et venteux, j’ai décidé de passer ma fin d’après-midi au cimetière du Père Lachaise, situé à deux pas de chez moi dans le 20 ème arrondissement de Paris. Une activité confinement friendly ! Ouvert en 1804, le plus grand cimetière de Paris, qui s’étend aujourd’hui sur 44 hectares, accueille les tombes de célébrités qui attirent des centaines de milliers de fans et curieux chaque année. Elles étaient populaires, charismatiques, intelligentes, audacieuses… Retour sur quelques unes des femmes puissantes dont l’esprit habite les allées bigarrées de ce cimetière insolite…

Naissance d’un cimetière devenu iconique
Le cimetière a été conçu par l’architecte Alexandre Brongniart à l’époque où la ville de Paris souhaite mettre fin aux cimetières intra-muros, pour des soucis d’hygiène. Fin 18ème, on préfère en effet construire de nouvelles nécropoles loin du centre ville. Le cimetière du Père Lachaise (du nom du confesseur de Louis XIV pendant 34 ans) est donc installé sur une colline de plusieurs hectares. Parce que les parisiens refusent de s’y rendre dans un premier temps, car trop isolé du centre, la ville décide d’y transférer les tombes de personnalités populaires : celles de Molière et de Jean de la Fontaine. Un coup de pub qui lance la popularité de ce lieu, devenu l’un des cimetières les plus connus au monde.
Le Père Lachaise au cinéma
Le cimetière est d’ailleurs l’un des lieux de tournage favoris du cinéma : Les enfants du Paradis de Marcel Carné en 1945, La Reine Margot de Patrice Chéreau (1994), Le Pianiste de Michel Haneke (2001), Paris Je t’aime en 2006, Les Bien Aimés de Christophe Honoré en 2011, Elle de Paul Verhoeven en 2016 y sont en partie tournés. Tout récemment, il est aussi apparu dans un épisode de la série de France Télévision Dix pour cent.

Honoré de Balzac, Marcel Proust, Jim Morrisson, Alain Bashung, Molière, Jean de la Fontaine, Appolinaire, Alphonse Daudet, Frédéric Chopin ou encore Oscar Wilde y reposent. C’est à eux qu’on pense immédiatement quand on parle du Père Lachaise et pourtant, de nombreuses femmes inspirantes y sont également enterrées.
Colette, la fureur de vivre

Sidonie-Gabrielle Colette (1873 – 1954) était une femme de lettres, mime, journaliste, comédienne et actrice. Élevée en bourgogne par une mère profondément athée et féministe ( Sido, personnage principal du roman éponyme publié en 1929) et un père capitaine, elle finit par rejoindre Paris où elle rencontre Willy, auteur et critique musical populaire. Elle l’épouse en 1893 et commence à écrire, en tant que “nègre” la fameuse série des Claudine dont les trois premiers tomes sont signés “Willy”.
En 1910, Colette et Willy divorcent. Colette écrit alors La retraite sentimentale, dernier tome des Claudine et signe le roman de son nom, pour la première fois.
Elle poursuit ensuite sa carrière dans le music hall, fréquente des femmes, se remarie deux fois et devient en 1949 Présidente de l’Académie Goncourt. En 1920, elle est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur. Après son décès en 1954, elle devient la première femme à avoir droit à des obsèques nationales…
Rosa Bonheur, peintre fougueuse

Non, Rosa Bonheur n’est pas qu’une enseigne de bars parisiens branchés… C’est aussi et surtout le nom d’une peintre et sculptrice française née en 1822 à Bordeaux et décédée en 1899. Elle grandit à la campagne, au Château de Grimont. Une enfance qui nourrira son amour et sa fascination pour les animaux et la vie rurale.
À 13 ans, elle décide d’abandonner son travail de couturière, en dépit des convenances de l’époque, et monte à Paris pour se consacrer à la peinture bien que les femmes ne soient pas encore admises à l’Académie des Beaux Arts (elles le seront à partir de 1897). Elle fait des animaux sa spécialité et à 19 ans seulement, elle expose déjà ses oeuvres au Salon de Paris. Le Marché aux chevaux, peint en 1853, lui vaut la reconnaissance et l’admiration de ses pairs. En 1865, elle est la première femme à être promue Officier de la Légion d’Honneur. Pendant des années, on la voit en pantalon (elle obtient de la Préfecture de Police l’autorisation de porter ce vêtement habituellement réservé aux hommes pour se rendre dans les salons bestiaux), cheveux courts et cigarette à la main. Elle ne se mariera jamais et vivra, libre, avec son amie d’enfance jusqu’à sa mort.
Monique Wittig, celle qui voulait libérer les femmes

Monique Wittig (1935 – 2003) était une une romancière, philosophe, théoricienne et militante féministe lesbienne française. Son premier roman, L’Opoponax, dans lequel elle aborde déjà la question du genre dans la langue et plaide pour que l’on “dérobe au masculin l’universalité” reçoit le prix Médicis en 1964. En 1968, elle s’engage dans le mouvement de révolte étudiant et ouvrier et contribue à la création d’un groupe de féministe, altermondialiste et révolutionnaire appelé Les Petites Marguerites.
Pendant toute sa vie, elle dénoncera la langue patriarcale et appellera à rompre le contrat social hétérosexuel, qui, selon elle, oppresse les femmes et les homosexuels. Ses théories, oeuvres et combats sont aujourd’hui encore furieusement d’actualité et ont largement contribué à la formation de la pensée queer.
Sarah Bernhardt, la “divine”
Sarah Bernhardt (1844 – 1923) grandit en Bretagne et monte la première fois sur scène pour jouer un ange lors d’un spectacle religieux. En 1859, elle entre au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris puis à la Comédie Française dont elle est finalement renvoyée pour avoir giflé une sociétaire. Bien qu’on la soupçonne de prostitution clandestine, elle signe un contrat avec l’Odéon en 1869. Elle brûle les planches et y est révélée au grand public.
Influenceuse avant l’heure, elle comprend vite l’attrait que représente sa vie personnelle pour le public et n’hésite pas à se mettre en scène dans son quotidien. Son style inspire également la mode de l’époque et nourrit l’esthétique du courant d’Art Nouveau.
En 1914, on lui remet la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Pendant la guerre, son genou développe une gangrène pour laquelle elle est amputée. Pourtant, elle n’hésite pas à remonter sur scène ou à rendre visite aux poilus revenus des tranchées en chaise à porteurs. Alors qu’elle tourne un film pour Sacha Guitry, elle meurt d’une insuffisance rénale.
Isadora Duncan : danser la vie

Isadora Duncan née en 1877 était une danseuse américaine. Durant sa carrière, elle contribue à redonner leurs lettres de noblesse aux figures antiques grecques dans le monde de la danse. Dans son Académie de Danse située rue Danton à Paris, elle donne naissance au courant de “danse libre” : Isadora danse pieds nus, ondule sans corset, en tunique grecque, rejettant les codes rigides du ballet traditionnel qui contraignent les corps et les abîment. Elle voit la danse comme une expérience spirituelle collective et s’indigne de l’aspect commercial des représentations publiques. Figure de la Belle Époque, son esprit révolutionnaire et son audace marquent les esprits dans le monde entier.
Ouvertement bisexuelle, elle entretient des relations avec des poétesses ou des écrivaines sans jamais se marier. Elle décède tragiquement à Nice en 1927, après que la longue écharpe en soie qu’elle portait autour du cou se coince dans les roues de la voiture qu’elle conduisait. Aujourd’hui encore, elle reste un objet de fascination et une icône féministe intemporelle.