Apprivoiser le requin en soi : vivre avec la maladie psychique

D’après l’OMS, 25 % de la population mondiale développera au cours de sa vie une maladie mentale. Parmi elles, la schizophrénie, méconnue, mal comprise, qui expose les personnes qui en sont atteintes à des représentations réductrices et limitantes.

Vivre avec la maladie psychique

En France, les troubles psychiques touchent 20 % de la population. On sait par exemple que 2,5 millions de personnes souffrent de dépression, entre 650 000 et 1 600 000 sont atteintes de troubles bipolaires et 600 000 de schizophrénie.

À ce jour, la schizophrénie reste un mystère pour le grand public et véhicule des stéréotypes tenaces. Une double peine révélatrice du manque de dispositifs visant à l’inclusion des personnes concernées.

Le terme “schizophrénie” a été inventé en 1908 par Eugen Bleuler, psychiatre suisse, ami de Sigmund Freud. Il vient du grec “schzio”, qui signifie “fractionnement” et de “phrénie”, l’esprit. Supposé illustrer l’idée de fragmentation de l’esprit, ce mot qui semble désormais désuet contribue aujourd’hui encore à nourrir des perceptions erronées de la maladie, assimilant la schizophrénie à un dédoublement de la personnalité, à un esprit confus, imprévisible, à des opinions contradictoires… Mais aussi à une forte criminalité.

Eugen Bleuler
Eugen Bleuler

Apprivoiser le requin

Sébastien a 48 ans. Il est comédien en situation de handicap. Pour lui, le diagnostic de schizophrénie est tombé à 42 ans. “La maladie est arrivée peu après mes 35 ans et il a fallu des années pour que le mot soit posé. J’avais besoin de ce diagnostic pour prendre conscience qu’une partie de moi était en mauvaise santé et pour pouvoir, malgré tout, faire avec ”.

Pour expliquer sa pathologie, il aime employer la métaphore du requin : “Le maladie se manifeste différemment selon les personnes touchées. Chez moi, ce sont des émotions mal ajustées, des cris qui m’échappent, des accès de tristesse ou de colère…Et ça, ça effraie beaucoup de monde. Quand les gens apprennent que je suis atteint de schizophrénie, ils prennent du recul. C’est pour ça que je me vois comme un requin : quand l’aileron du requin apparait au large, les gens s’enfuient en courant sans chercher à en savoir plus. C’est l’attitude qu’adoptent généralement les gens face à la maladie mentale. Et puis, le requin avance lentement dans l’eau. Moi aussi, je me déplace lentement à cause des médicaments”. 

shark requin

La schizophrénie dans la culture pop

Encore récemment, le film Joker de Tood Philipps (2019) mettait en scène Arthur Fleck (joué par Joachim Phoenix), un personnage qui souffre de troubles psychotiques le conduisant à faire un usage arbitraire de la violence. In fine, la maladie de Fleck le pousse à commettre des meurtres sanglants. Avec ses crises de rire incontrôlables, ses hallucinations auditives et visuelles, le film mobilise tous les clichés sur la maladie pour faire comprendre au grand public que Fleck est atteint de schizophrénie.

Au-delà de ce diagnostic quelque peu douteux, le film, comme de nombreux autres avant lui, contribuent à faire du sujet schizophrène un être redouté pour sa violence. Les médias alimentent également ces stéréotypes lorsqu’ils relatent un fait-divers particulièrement sanglant en précisant que celui-ci a été perpétré par un “déséquilibré”. Pourtant, les chiffres sur la criminalité des personnes traitées pour schizophrénie tendent à relativiser la violence qui leur est habituellement prêtée dans l’imaginaire collectif.

Peur des autres, peur de soi

En fait, les personnes qui souffrent de schizophrénie ont souvent bien plus peur d’elles-mêmes que de leur entourage, rappelle Lucie Segard, infirmière en psychiatrie. La société ne sait pas comment se positionner face à ces individus qui sont, la plupart du temps, parfaitement inoffensifs. En réalité, la criminalité au sein de cette population est minime”. 

Pourtant, force est de constater que les personnes atteintes d’une maladie mentale sont surreprésentées dans les prisons françaises. 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques et seraient incarcérés sans avoir fait l’objet d’une expertise psychiatrique… Et sans pouvoir bénéficier de soins adaptés.

Des pouvoirs publics défaillants ?

D’ailleurs, pour les spécialistes, l’absence de prise en charge, la rupture des soins, l’isolement et la désinstitutionalisation seraient responsables de la criminalisation de cette population. La France et la majorité des pays occidentaux manquent cruellement de structures adaptées pour soigner et réhabiliter les personnes souffrant de maladies mentales. Lucie Segard confirme cette réalité, qu’elle vit au quotidien. “Il y a un vrai défaut de moyens alloués pour la prise en charge de cette population. Ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas leur proposer mieux”.

Les chiffres de l’OMS montrent également que les sujets sont plus susceptibles de subir des discriminations à l’échelle de la société, sans parler de leur difficile, voire inexistante, intégration au monde du travail, un milieu qui a plutôt tendance a invisibiliser le handicap.

Pourtant, il faut bien vivre avec une maladie psychique

Quinquin court-métrage

Sébastien, lui, a appris à trouver son équilibre entre les traitements, sa foi et son activité de comédien. “ La maladie a aussi fait naître de belles choses. Elle a décuplé mes facultés d’observation, un véritable atout pour ma pratique artistique.” Entouré de proches amis du monde du spectacle (dont Lucie Segard, également comédienne-clowne), il a écrit et joué son propre rôle dans un court métrage intitulé Quinquin, réalisé par Matthieu Ador. Une oeuvre qui lui permet de parler librement de sa maladie et de laisser libre court à ses rimes. Dans le podcast “Apprivoiser le requin en soi”, il évoque son quotidien, Quinquin, mais aussi les aspects positifs de la maladie.

Je me suis rapproché d’autres gens qui souffrent de handicap, des gens qu’avant je ne voyais même pas. Aujourd’hui, on monte des projets ensemble, et on s’inclue mutuellement grâce à nos handicaps respectifs. Quand on est ensemble, je vois leurs failles, ils voient les miennes, je trouve ça très beau”. 


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