
Alors que 2020 a été marquée par les restrictions sanitaires, l’omniprésence des sujets santé dans nos quotidiens et une réduction drastique de nos relations sociales, le Dry January à l’anglaise a-t-il la cote en ce terne mois de janvier ?
Le Dry January, ou Janvier Sec, c’est cette campagne de santé publique lancée en 2013 en Angleterre. Elle encourage à ne pas boire une goutte d’alcool pendant tout le mois de janvier. L’objectif ? Mettre son corps au repos suite aux excès des fêtes de fin d’année.
Les Français et l’alcool : un tabou bien ancré ?
Pratiqué en 2020 par près de 4 millions de britanniques, ce mois de janvier sans alcool peine toujours à convaincre en France… Et ce ne sont ni les autorités sanitaires, ni les défenseurs du savoir-vivre à la française qui défendraient le concept. “Moralisateur”, “hygiéniste”, un “danger pour l’art de vivre français”, les arguments contre un Janvier Sec à la française ne manquent pas.
D’ailleurs, fin 2019, le lobby viticole a réussi à contrecarrer le projet du gouvernement de lancer une campagne nationale en France. Ce qui n’empêche pas quelques milliers de français de suivre le mouvement chaque année… au risque d’essuyer des remarques peu encourageantes de la part de leurs pairs. Car en France, ne pas consommer d’alcool s’apparente presque à une insulte aux traditions.

Pour Nicolas, 29 ans, qui fait le Dry January depuis plusieurs années, les débuts n’ont pas été faciles : “ Dès qu’on se retrouve dans un bar, l’entourage essaye de vous pousser à consommer à tout prix : “Aller, juste une bière”… Comme si le fait de commander un coca revenait à taxer les autres d’alcooliques ! ”
Lola, 28 ans, a vécu des expériences similaires avec son entourage : “ J’ai pris conscience de la pression sociale qui entoure la consommation d’alcool pendant ma grossesse. Même enceinte, on continuait à me proposer de l’alcool ! En fait, c’est très difficile pour ceux qui boivent d’accepter que d’autres passent leur tour ! ”.
“Mettre en place de bonnes habitudes”
“ Je suis une consommatrice régulière d’alcool, explique Anna, 34 ans. Étant diplômée en oenologie, j’ai une approche intellectualisée du vin. Mais au-delà de ça, je prends plaisir à boire un verre le soir. Ça aide à mettre de la distance avec les aspects les moins faciles du quotidien ”. L’année dernière, cette grenobloise et son compagnon ont décidé de faire le Dry January pour la première fois. “Plus qu’une détox après les fêtes, on avait envie de mettre en place de bonnes habitudes pour commencer l’année. On n’a pas fait un Dry January complet mais des “dry weeks” : pendant un mois, on n’a bu que le week-end. C’était très motivant de se lancer à deux ! Et tellement valorisant d’aller au bout du challenge qu’on s’était fixé ! ”.
Lola aussi se reconnaît dans les arguments en faveur du Dry January, qu’elle pratique depuis 3 ans. Élimination des toxines du foie, amélioration du sommeil, meilleure forme physique, stimulation du système immunitaire, sans parler des économies réalisées… Sur le papier, les bonnes raisons de s’adonner à un janvier sec ne manquent pas.
L’apéro, allié des soirées à huis clos
D’autant qu’avec les confinements ayant émaillé 2020, la consommation d’alcool a augmenté chez 11 % des français. Elle est restée stable pour 65 % d’entre eux, là où l’activité physique a diminué de manière drastique pour la moitié de la population.
“Depuis le premier confinement, je suis passée d’une consommation d’alcool occasionnelle à 2-3 apéros par semaine, explique Lola. Pour cette professeure documentaliste dans un collège de la région parisienne, avec les tensions liées à la crise covid, la gestion douteuse de l’épidémie par l’Éducation Nationale et l’absence de perspectives, tous les prétextes sont devenus bons pour se servir un verre en 2020. Et 2021 n’augure pour l’heure rien de bien différent… Même son de cloche chez Anna : “ Depuis le début de la crise, l’alcool a repris une place particulière dans nos semaines désormais dépourvues de surprises…”
Un début d’année au goût amer
Pour autant, Lola s’essaie cette année encore à une détox d’hiver “À la maison, on ne se sentait pas de passer un mois entier sans boire d’alcool mais on s’est quand même lancé un défi : arrêter les plats à emporter et de manger moins riche pendant tout le mois ”. Elle et son mari se sentent mous à force d’être sédentaires, d’où leur volonté de bousculer un peu leur habitudes alimentaires… Entre sentiment de culpabilité lié à l’inactivité et désir de ressortir de cette crise en bonne santé, l’effet challenge peut redonner une sensation de contrôle sur son quotidien. “ Puisqu’on avait pas le coeur à se priver d’alcool pendant un mois, on ne fera le Dry January que pendant une semaine, à la fin du mois”.
Car même si l’envie de faire une détox se fait sentir, l’alcool accompagne souvent les événements qui sortent de l’ordinaire et les célébrations, ultimes repères du quotidien auxquels il fait bon se raccrocher en cette période morne. “Je fête mon anniversaire en janvier… Manger un bon repas et boire un verre à l’occasion, c’est un peu tout ce qui nous reste pour marquer le coup ”, reconnait la jeune prof.

Chez Anna non plus, ce mois de janvier n’est pas aussi sec que le précédent. “ En ce moment, on se sent bridés de toutes parts, on voit peu de monde, les journées finissent par toutes se ressembler… Ce mois de janvier, il était inenvisageable pour nous de se challenger davantage “
Contre toute attente, la France (comme l’Angleterre) enregistre pourtant une augmentation du nombre d’inscrits officiels au challenge. D’après le site français, 8819 personnes se seraient portées volontaires pour l’édition 2021. Nicolas en fait partie. Cet infirmier de 29 ans, qui pratique le Dry January depuis 4 ans, ne voit pas la crise actuelle comme une occasion de déroger à la règle, bien au contraire. “La situation sanitaire me rend d’autant plus attentif à ma santé. Quand on arrête de boire pendant plusieurs semaines, on ressent tout de suite les effets bénéfiques sur le poids, le sommeil etc. Pour moi, cette année y-compris, ça se passe très bien. Je n’ai pas l’impression de me faire violence, les semaines de janvier sec passent même plutôt vite ”. Malgré tout, il a conscience que son quotidien ne reflète pas celui des millions de français assignés à résidence depuis des mois. “En termes de rythme, les choses n’ont pas vraiment changé pour moi avec la covid. Je sors tous les jours pour aller travailler, je vois du monde, je me sens utile. J’imagine que quand on est tout le temps cantonné à son intérieur, la tentation est plus grande de se servir un verre pour s’évader un peu…”.
Au final, entre injonctions à prendre soin de soi, quête de remèdes à la morosité ou lutte contre l’impression d’un dimanche sans fin… En ce début d’année, pour ce qui est des challenges, tout le monde fait comme il peut, et c’est déjà pas mal.