J’ai visité l’un des lieux les plus hantés de Paris

Octobre touche à sa fin et mon goût insatiable pour les histoires de fantômes et de sorcières s’en trouve plus affuté que jamais. Il y a deux ans, à cette même période de l’année particulièrement propice aux promenades dans les cimetières, les vieux manoirs et autres lieux chargés d’esprits, je publiais un article sur les Femmes puissantes du Père Lachaise. Cette année, j’ai décidé d’aller un cran plus loin.

Paris étant une ville chargée d’histoire, parfois heureuse, parfois traumatique ou sanglante, de nombreux lieux sont susceptibles d’être peuplés de fantômes… Parmi eux, la chapelle Notre-Dame-de-Consolation, nichée dans le 8ème arrondissement de la capitale, dans une petite rue calme située tout près des Champs Élysées. L’édifice est en effet entouré de mystères depuis le début de sa construction en 1898 sur les ruines du Bazar de la Charité. Soucieuse de savoir si la chapelle était à la hauteur des légendes qui l’entourent, je me suis rendue sur place. Reportage.

Un bruit qui court

En 2004, une journaliste de l’Express visitait la chapelle accompagnée de Dorothée Koechlin de Bizemont. Son nom ne vous évoque rien ? À moi non plus, et pourtant, ce n’est pas n’importe qui. Dorothée est astrologue, parapsychologue et chasseuse de fantômes. En cette journée de juin 2004, armée de son pendule, elle confiait à la journaliste sentir un froid anormal en pénétrant dans la chapelle, “Ça grouille de fantômes ici, je suis glacée, sortons !”, aurait-elle lancé seulement quelques minutes après avoir pénétré les lieux.

Sur plusieurs sites, on trouve en effet des sources faisant état de la présence de fantômes dans Notre-Dame-de-Consolation. Des fantômes, mais de qui ? Des femmes décédées la nuit du 4 mai 1897 dans l’incendie du Bazar de la Charité, pardi.

Le traumatisme de l’incendie du Bazar de la Charité

Nous voici donc au printemps 1897, rue Jean-Goujon. Au numéro 23, un hangar en bois de 80 mètres de long se dresse entre les bâtiments. À l’intérieur, on a reconstitué une rue du Moyen-Âge pour accueillir l’aristocratie parisienne à l’occasion d’une vente de charité (objets d’arts, bibelots, tableaux, bijoux, livres et toutes pièces provenant de dons) au profit des miséreux. Ce soir, c’est le deuxième jour de cette manifestation qui doit durer jusqu’au 6 mai. Tout comme la vieille, des centaines de personnes issues du gratin sont attendues sur place et on a mis les petits plats dans les grands : la diffusion d’images de cinéma est prévue, grâce au cinématographe des frères Lumières, un véritable évènement pour l’époque. Sur les pavés, les calèches, les femmes en robes de soirée, les hommes endimanchés et enfants bien apprêtés se hâtent pour pouvoir assister à cette manifestation exceptionnelle.

Mais assez vite, certaines personnes se montrent inquiètes. À 16 heures, la Duchesse d’Alençon, qui préside un stand dédiée aux noviciats dominicains, chuchote à l’oreille de sa voisine, Madame Belin : “J’étouffe”. Cette dernière lui répond : « Si un incendie éclatait ici, ce serait terrible ! ». Les deux femmes ne réchapperont pas à l’incendie.

Quinze minutes plus tard, la réserve d’éther de la lampe de projection du cinématographe étant épuisée, il faut la remplir. Le projectionniste allume une allumette pour se repérer dans l’obscurité. Mauvaise idée : les vapeurs d’éther s’enflamment en un battement de cils. Le rideau prend feu, puis les boiseries. Alors qu’on commence à évacuer tout le monde dans le calme, c’est le plafond qui s’enflamme. “Comme une véritable traînée de poudre dans un rugissement affolant, le feu embrasait le décor, courait le long des boiseries, dévorant sur son passage ce fouillis gracieux et fragile de tentures, de rubans et de dentelles“, dira plus tard un témoin rescapé.

Parmi les 1200 invités, c’est la panique. Le bazar se transforme en brasier et si la majorité des personnes présentes sur place réussissent à sauver leur peau, 125 personnes périssent dans les flammes, dont 118 femmes. La raison ? Engoncées dans leurs jupons et leurs robes de soirées, elles n’ont pu courir et se prémunir contre les flammes. Autre explication : l’événement étant une vente de charité, il attirait une majorité de femmes. Quant aux hommes présents, d’autres sources ne manquent pas de souligner qu’ “ils ont tout mis en oeuvre pour se tirer des flammes, bousculant, piétinant et jouant de la canne et du poing pour se frayer le passage, au détriment des femmes livrées au feu“. Étonnement, cette version n’a pas été retenue dans la représentation de l’événement dans les oeuvres produites après l’incendie.

La voyante de la rue de Paradis l’avait prédit

Étrange coïncidence, quelques mois avant l’incendie, Henriette Couédon, qui loge au 40 rue de Paradis dans le 10ème arrondissement de Paris, a une vision. C’est loin d’être la première fois que ça lui arrive, car Henriette est voyante. Chaque jour, des dizaines de personnes, issues de l’aristocratie comme des classes ouvrières, défilent au domicile de ses parents pour la rencontrer et se voir prédire leur avenir. La jeune femme dit parler au nom de l’Archange Gabriel et lorsque la rumeur s’ébruite concernant ses dons, le tout Paris se presse à son palier. Certains jours, la file d’attente se prolonge jusqu’au trottoir d’en face.

Grâce à sa renommée, Henriette est désormais conviée dans les plus beaux salons parisiens pour faire usage de son don divinatoire. Au mois de mars 1897, la voici invitée à l’hôtel particulier de la comtesse de Maillé qui présente à ses hôtes son projet de vente charitable rue Goujon, qui se déroulera quelques mois plus tard. Prise d’une transe au cours de la soirée, Henriette aurait alors déclaré : « Près des Champs-Élysées, je vois un endroit pas élevé, qui n’est pas pour la pitié, mais qui en est approché dans un but de charité qui n’est pas la vérité. Je vois le feu s’élever et les gens hurler. Des chairs grillées, des corps calcinés. J’en vois comme par pelletées… »Ce soir-là, personne n’a semblé vouloir prendre au sérieux ces funestes prédictions.

Le destin d’Henriette fut bien funeste, lui aussi. Manipulée par l’extrême droite suite à l’incendie du Grand Bazar, ses visions sont de plus en plus improbables et incompatibles avec la France nouvellement laïque de l’époque. À l’âge de 48 ans, elle est internée pour cause de “délires incompatibles avec la vie courante”. Sur son dossier médical, son psychiatre note ces deux mots pour la qualifier : “épave sociale”.

(Merci au blog Paris à nu pour ces précieuses informations concernant Henriette Couédon)

Une chapelle en guise de consolation

Un an après la tragédie, la construction de la chapelle Notre-Dame-de-Consolation commence sur le trou béant laissé par le fantôme du Bazar de la Charité. En 1900, l’édifice est achevé et son inauguration a lieu le 4 mai 1900, trois ans pile après l’incendie du Bazar de la Charité.

Alors, la chapelle serait-elle vraiment peuplée des fantômes des femmes qui ont succombé aux flammes, hurlant, pleurant, étouffant dans leurs jupons, la soirée du 4 mai 1897 ? Je décide d’en avoir le coeur net et me rend, jeudi 27 octobre au soir, sur les lieux. Les horaires d’ouverture indiquent que la chapelle est accessible entre 17h30 et 19h. Je prends le métro et descend à l’arrêt Franklin D Roosevelt, à deux pas de l’Arc de Triomphe. Quand j’arrive, la nuit tombe tout juste sur la capitale.

Sur le chemin pour rejoindre la discrète rue Jean Goujon, je dois dire que je croise déjà pas mal de fantômes. Quand on habite dans la partie Est de Paris, on oublie vite ce qui se trame dans les beaux quartiers. À la lueur des lampadaires, je croises des âmes à la mine blafarde, une étrange lumière bleue (celle des téléphones portables dans lesquels elles ont le regard plongé) projetée sur leur visage, debout en rang d’oignon devant les portes des magasins de luxe aux façades teintées et aux intérieurs aseptisés. Un peu plus loin, d’autres créatures similaires, errent dans la nuit en portant des dizaines de sacs Louis Vuitton l’air totalement blasé avant de monter dans leur 4×4. Après ça, les esprits de la rue Jean Goujon risquent d’être moins effrayants que ce que je pensais.

Octobre à la chapelle

J’arrive devant le numéro 23. Notre-Dame-de-Consolation se dresse face à moi, majestueuse, imposante et lugubre à la fois. Je repère immédiatement la petite plaque dorée clouée sur l’un des murs de la façade : Mémorial du Bazar de la Charité.

18h30. Sur le moment, j’ai l’impression que la chapelle est fermée car le petit portail noir en fer forgé qui l’entoure est cadenassé. Je fais quelques pas et comprends qu’il faut rentrer par la petite porte du bâtiment situé sur le côté droit, qui mène à la crypte et à la Chapelle. Je rentre. La lumière est faiblarde et tout est étrangement silencieux par rapport au tumulte des Champs Elysées tout juste parcourus. Comme prédit par Dorothée, vous savez, la chasseuse de fantômes, c’est vrai qu’il y fait froid, mais n’est-ce pas le cas dans toutes les églises ?

18h36. Je descends à la crypte. Un grand lustre au milieu, des cierges allumées, des tas de paperasses sur la paroisse, Dieu et le catholicisme sont disposés sur des tables. Je fais le tour, étonnée d’être toute seule dans ce lieu pourtant situé en plein Paris touristique. Il n’y a toujours pas un bruit. Je ressors de la crypte et prend la direction d’un escalier en colimaçon qui indique la chapelle.

18h43. Après une volée de plusieurs dizaines de marches, j’arrive à l’entrée de la Chapelle, je prends tout de suite à gauche et oh surprise. À seulement quelques mètres de moi, je vois un prêtre vêtu d’une chasuble verte et dorée de dos, les bras dirigés vers le ciel, dans un silence de plomb. Mon regard se tourne vers les fidèles, agenouillés sur les prie-Dieu, mains jointes, yeux clos. Je ne m’attendais pas à débouler en plein milieu d’une messe, encore moins d’une cérémonie parfaitement silencieuse (à ce moment-là, je suis dans le bâtiment depuis 10 bonnes minutes et je n’ai pas entendu une mouche voler).

Je reste là où je suis, je regarde la nef, les vitraux, les statues, mon regard balaie la pièce puis je remarque que l’une des femmes en pleine prière silencieuse me fixe avec insistance, les yeux grands ouverts. Son regard est vraiment bizarre. Il ne m’en faut pas plus pour avoir le sentiment d’interrompre un évènement auquel je n’ai pas été conviée. Je redescends, un peu embarrassée.

18h47. Je comprends qu’avec cette messe, je ne vais pas pouvoir visiter correctement la chapelle ni prendre de photos. Je suis déçue. Je prends mon téléphone pour vérifier sur internet les horaires de visite. Surprise : l’écran d’accueil affiche No service. Plus une barre de réseau, rien. Je ressors du bâtiment dans la rue, toujours rien. Bizarre. Je décide de retourner voir la crypte, c’est mieux que rien.

18h50. Je descends les petits escaliers, me retrouve de nouveau sous le grand chandelier. Tout à coup, du coin de l’oeil, je vois un homme assis sur une chaise dans un angle de la pièce, les mains posées sur les genoux. Pourtant, je n’ai vu personne entrer, sortir du bâtiment, encore moins descendre de la chapelle. Je le salue, il ne me répond pas, regarde par terre. Je me rapproche et lui demande quand on peut visiter la chapelle. Il lève les yeux vers moi, les plisse, garde le silence, les baisse de nouveau. J’ai envie de rire de gêne, mais je me retiens. Je me poste à l’endroit où sont exposés les divers dépliants, saisit mon téléphone. Il s’est éteint. Impossible de le rallumer. Pourtant, j’avais 82 % de batterie. Je commence à me sentir un peu Dorothée moi aussi.

18h54. Me voici de nouveau dehors. Je ne sais pas quoi faire de tout ça. Je ressors mon appareil photo pour faire des photographies zoomées de la façade. Mon téléphone refuse toujours de s’allumer, c’est chiant. Je prends quelques minutes pour m’imaginer les femmes mortes ce soir-là, leur panique, leurs cris. Tout à coup, dans mon dos, j’entends du mouvement. Un homme sort du bâtiment qui mène à la crypte et à la chapelle. Vêtu d’un costume sombre, il marche d’un air pressé. En passant à côté de moi, il me dit : “Vous êtes montée à la chapelle, non ?“, je réponds : “Heu oui, pourquoi ?“. Il ne dit rien et disparaît dans la nuit. Encore un qui est bizarre. Quelques secondes plus tard, la femme qui m’a fixée pendant la messe sort également, elle me jette le même drôle de regard que précédemment et s’éloigne le pas pressé. Je décide de la rattraper : “Excusez-moi, vous savez quand on peut visiter la chapelle sans interrompre une messe ? Je viens de voir qu’il y a des messes tous les jours sur les horaires d’ouverture affichés sur la porte”. Elle me considère en levant un sourcil circonspect, répond : “Qu’est-ce que vous voulez voir, là-haut ?”. Je suis surprise de la question, et tout ça commence un peu à m’agacer. “Je voudrais faire le tour de la chapelle, comme on visite n’importe quelle église ou chapelle“. Elle répond :” C’est par rapport au Bazar ?“. Prise de cours, je dis : “Non, je m’intéresse à l’architecture, voilà tout”. Elle lève de nouveau un sourcil, farfouille dans son sac et me tend une carte de visite : “Appelez ce prêtre. Il vous fera faire une visite guidée“. Je la remercie chaleureusement et la voit s’éloigner.

18h58. Je décide de retrouver la route du métro. Mon portable ne se rallume toujours pas. Je ère dans le quartier un moment pour me dégourdir les jambes. Dans la poche de mon imperméable, je cherche la carte du prêtre pour la regarder de plus près. Impossible de remettre la main dessus. Elle n’a jamais réapparu. Une fois dans le métro, au bout de quelques arrêts, mon téléphone portable se rallume enfin et affiche 16h15. Je règle l’heure, enfouit mon téléphone dans mon sac. Je me dis que parfois, les vivants sont bien plus effrayants que les fantômes.


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