Approcher la trentaine en 2020

Dans quelques temps, ils auront 30 ans. Ils travaillent, cherchent à travailler, essayent de vivre de leur passion, mènent leur barque du mieux qu’ils peuvent. Ils sont à l’âge où on s’affirme, où on sait mieux où on va. Mais voilà, la crise sanitaire est passée par là et après un printemps incertain, un été un peu plus insouciant, la rentrée est arrivée et le quotidien a repris, pas tout à fait comme avant. Ils sont prof, vendeur, artiste, ingénieur, en recherche d’emploi… À quoi ressemble leur vie à l’ère du Covid ?

Avancer masqué

Depuis le mois de septembre, le port du masque est devenu obligatoire à partir de 11 ans presque partout : d’abord dans les espaces clos (au bureau, dans les collèges, lycées, magasins, cinémas, théâtres, transports en commun etc.) mais aussi dans la rue à Paris, Nice, Marseille, Nantes, Bordeaux, Strasbourg etc. Un véritable bouleversement, loin de se faire en douceur. Pour cause, le masque déchaîne les passions (notamment avec la création de groupes “anti masques obligatoires”) et modifie en profondeur nos interactions sociales quotidiennes

Liam a 26 ans. Il travaille depuis deux ans dans une boutique de produits biologiques, dans le 20 ème arrondissement de Paris. Avec sa clientèle plutôt aisée, majoritairement composée de cadres, il n’avait jamais vraiment assisté à des débordements sur son lieu de travail. Jusqu’à la rentrée 2020 : “ Depuis que le masque est obligatoire absolument partout, les gens se surveillent, sont anxieux, méfiants. Déjà pour nous, le travail est devenu plus difficile quand il s’agit de décharger des palettes et de faire des activités physiques sous le masque… Mais avec en plus des clients à cran, ce n’est pas franchement une partie de plaisir ”. 

Entre les auto-proclamés shérifs qui invectivent ceux qui portent leur masque sous le nez et ceux qui refusent tout net de le porter, l’équilibre semble difficile à trouver, et les conflits ne sont jamais bien loin. Sans parler du lien social, plus difficile à tisser : “ Qu’on le veuille ou non, le masque est une barrière. Je le vois avec les clients : les échanges sont plus courts, plus expéditifs. Au fond, c’est un peu comme si la parole était entravée. Les gens sont pressés de rentrer chez eux alors qu’avant, on papotait en caisse sans problème. Ça remet en question notre rôle en tant que commerçants de proximité ”. 

Même son de cloche chez Camille, 28 ans, comédienne et clowne, qui joue son spectacle devant un public masqué depuis plusieurs semaines : “ Le public est systématiquement masqué et selon les endroits où on se produit, on doit l’être aussi. La première fois qu’on doit jouer dans ces conditions, c’est très perturbant. En tant que clownes, on essaye de provoquer des sourires, des gloussements, de petits rires…Parce ce sont les réactions du public qui portent le spectacle, qui nous donnent envie d’improviser. Être sur scène, c’est jouer une partie de ping pong relationnel avec l’autre. Alors c’est sûr qu’en ce moment, se produire sans avoir accès à toute la palette d’émotions de ceux qui nous regardent, ça demande beaucoup d’énergie… Et ça peut fragiliser une confiance en soi difficilement acquise au cours des années précédentes !

clown artiste covid coronavirus

Quand la pandémie met nos mots à mal

Alors que la pandémie a amorcé des questionnements profonds sur le quotidien, des quêtes de sens au travail, la redéfinition des priorités fondamentales de chacun, le pendant inverse de la crise, moins reluisant, reste la réduction drastique des échanges spontanés et authentiques

Pour Jane, 27 ans, professeure d’anglais agrégée dans un lycée de la banlieue lyonnaise, pas le choix. En cette rentrée, les cours se font en présentiel, tout en gardant le plus de distance possible avec les jeunes. “ Je fais cours toute la journée avec le masque. Il faut consciencieusement nettoyer toutes les surface : tables, souris, claviers, poignées de porte. Et ne pas s’approcher trop près des élèves, dont on ne voit d’ailleurs que la moitié du visage. C’est plus difficile de repérer qui bavarde, qui mâche un chewing-gum ou de comprendre qui répond à telle ou telle question. Ça coupe complètement la communication entre nous. Et puis il faut toujours leur dire de remettre leur masque correctement… ”  

Conséquence du manque de rigueur des adolescents vis à vis du port du masque : les cas contact se multiplient  parmi les élèves, en dépit des efforts des professeurs pour faire respecter les mesures barrière. Depuis la rentrée, Jane a déjà été contrainte de passer une semaine d’isolement et d’effectuer un test PCR après qu’un de ses élèves a été testé positif. “ C’est très frustrant parce que même si on essaye d’être ultra vigilant, on n’a pas de prise sur ce que font les ados quand on a le dos tourné.” Une réalité qui ne donne pas vraiment de baume au coeur aux professeurs pour le reste de l’année scolaire… Sans parler de la peur de retourner en télétravail à temps complet : “Pour ma part, les cours à distance de mars à juin n’ont pas vraiment été fructueux… Je croise les doigts pour que ça n’arrive plus parce que malgré tous nos efforts, enseigner sans voir et parler aux élèves face à face, ça enlève tout sens à notre mission, surtout quand on enseigne les langues étrangères. ”

remote working Covid coronavirus télétravail

Le télétravail, Akshay y est maintenant habitué. À Londres, cela fait 6 mois que cet ingénieur en informatique de 29 ans se connecte chaque jour à son ordinateur depuis sa chambre. Début 2020, il a démissionné de son précédent emploi. Le Covid est venu mettre un terme à son préavis. Heureusement, il a retrouvé rapidement du travail et a commencé son nouveau contrat le 10 avril… Sans avoir jamais rencontré ni ses chefs, ni ses collègues. “ C’est une situation vraiment étrange… Avec certains collègues, on a organisé des cafés zoom pour faire connaissance, mais ça n’a vraiment rien à voir avec la vie de bureau.” Certains aspects de cette nouvelle vie lui plaisent, comme le fait d’avoir plus de temps pour sa famille et ses amis, de pouvoir profiter d’une capitale plus calme que d’habitude… Mais globalement, la sensation de vivre un entre-deux dont on ne sait pas quand il prendra fin s’installe et rend les projections dans l’avenir difficiles. 

Composer avec l’incertitude

Ambra a 28 ans, elle habite à Palerme (Sicile, Italie). Lorsque la vague covid a frappé l’Italie, elle terminait son contrat dans une boutique du centre ville. Puis, plus rien. “ Depuis, c’est le désert total”. Les offres sont rares, les temps sont durs, en Sicile particulièrement, l’une des régions les plus pauvres du pays. “ Ça a toujours été difficile de trouver du travail ici, mais avant, on finissait toujours par se débrouiller. Depuis le début de l’année, c’est devenu mission impossible. La plupart des magasins du centre n’ont pas rouvert. Le Covid nous a tous complètement déstabilisés. J’ai 29 ans et je m’inquiète pour mon avenir. On ne peut pas faire de projets, on ne sait même pas combien de temps tout ça va durer… Je pensais qu’à mon âge, avec mon expérience, les choses seraient moins difficiles ”. 

L’avenir à court terme, Akshay le voit chez lui : “ Il y a peu de chances que je découvre le bureau avant l’année prochaine. Sachant ça, c’est parfois difficile de trouver du sens dans ce que je fais au quotidien et de garder une routine vertueuse. Ça me pousse à me poser plein de questions que je pensais avoir résolues bien avant”. En attendant, les jours se suivent et se ressemblent. 

young people

Camille, elle, improvise : “ La plupart des spectacles et festivals programmés jusqu’à fin 2020 ont été annulés. Heureusement, la Mairie de Paris nous a trouvé des dates tout l’été, donc on est retombé sur nos pattes. Mais maintenant, les rassemblements de plus de 10 personnes sont à nouveau interdits… C’est un peu un retour en arrière. On est forcé de vivre au jour le jour, on ne peut rien anticiper… Mais on ne perd pas espoir, ce n’est pas le moment !”.


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